C’est le printemps, et malgré le confinement – ou grâce à lui – on peut se consacrer au jardin, c’est-à-dire à la culture auto-suffisante de nourriture végétale. Je suis né en ville, comme la plupart des humains occidentaux de ce siècle, mais d’une famille forte d’une longue expérience campagnarde : vignerons, maquignons, mes aïeux connaissaient la terre et m’en ont transmis son amour. J’ai grandi à la campagne, mais j’ai passé la plupart de ma vie adulte en ville, malgré mes réticences : le temps passe tellement vite dans le monde accéléré des mégalopoles.
Je suis arrivé trois jours avant le confinement, avec comme objectif de « préparer l’été ». Il s’agissait pour moi, principalement, au-delà des travaux de la maison pour aménager des chambres supplémentaires, d’observer le printemps, car je n’avais pas encore, depuis que je fréquente la région, vécu sa transition entre l’hiver et l’été.
Évidemment, avec le confinement tout est devenu difficile : les travaux prévus en mars et avril ont du être reportés, au mieux en mai. Et pour le jardin, mon manque d’outils et d’accès aux plantes a rendu mes projets de jardin très flous. L’un des éléments fort motivants fut la plantation d’arbre que @natacha et moi avions effectuée avant notre départ vers la Belgique, pour raisons professionnelles, fin novembre – je ne voulais pas partir et elle pourra en témoigner, je lui ai fait souffrir cette décision. Qu’elle me pardonne car mon retour s’accompagne d’une vigueur étonnante, d’un renouveau de mon être-au-monde, comme je peux enfin observer l’évolution de nos plantes et de notre jardin, prélude indispensable à la réalisation d’un jardin digne de ce nom : on ne peut réaliser un jardin nourricier qu’en étant présent·e – cela ne souffre aucune exception.
Ainsi, j’ai pu observer avec une joie incommensurable la prise au sol de ce chêne récupéré lors d’une ballade en Hiparralde un jour de vent, de pluie et d’éclaircies magnifiques sous les vols de vautours. Sur notre chemin nous avons récupéré quelques rejets de chênes que nous avons plantés dans notre jardin : l’un d’entre eux s’est adapté à merveille et déploie ses feuilles crantées à l’ombre du catalpa qu’un jour il remplacera pour ombrager la terrasse.
Nos amis @Ingrid et @Noel nous ont offert des plants de figuiers qui aujourd’hui, déjà, montrent leur offrande de figue à l’entrée de notre maison. Les noyers et les bananiers tardent encore à révéler leur approbation mais je ne désespère pas ! Aujourd’hui, donc, j’ai pu louer une débroussailleuse : les herbes montent depuis novembre en toute liberté – sauf une tonte voici près de trois semaines, effectuée pour calmer cette jungle. Mais en fait elle ne s’est pas du tout calmée : au printemps la terre regorge d’un désir de vie que les humains pourraient lui envier s’ils lui prêtaient la moindre attention. Bref, alors que je passais le fil de coupe en nylon – au-moins dix mètres, je me demandais qu’elle était ma part de destruction de cette vigueur en réalisant que la chimie de Dupont de Nemour – injectée après-guerre avec les fameux bas-nylons qui rendaient les femmes plus désirables semble-t-il (ah bon ?) – éjectait des micro-particules de fils plastiques usés par le choc avec cette végétation indomptable qui réclamait avec un désir insatiable une croissance non pas infinie, mais vigoureuse et partagée avec l’ensemble des plantes qui pouvaient à ce moment s’exprimer sur cette terre fertile servie par le Saison des siècles durant.
Car un jardin, c’est avant tout la volonté de choisir quelles plantes se développeront au détriment de quelles autres, et c’est – pour moi – le pari d’une alliance avec la faune locale, insectoïde, batracienne, avicole et mammifère. J’ai pu observer ainsi une grande congrégation de verres de terre, insectes souterrains, blattes des jardins, escargots et limaces, scarabées et leurs larves, moucherons, fourmis et leurs élevages de pucerons, lucioles, coccinelles et tout un tas de carapateux dont j’ignore le nom et leurs prédateurs : mésanges charbonnières, rouge-gorges, martinets et chauve-souris qui habitent mon quartier.
Commencer un jardin, c’est avant tout décider son objectif – et le mien est de conserver la qualité de la terre tout en fournissant à mes papilles, celles de ma familles et de mes invité·e·s, des délices et des plaisirs quotidiens. Il ne s’agit pas pour l’instant d’un objectif de rentabilité : sortir du système marchand et affirmer une auto-suffisance alimentaire. Cet objectif est louable, et certainement important dans les années sombres qui viennent, mais je recherche avant tout un rapport à la terre, un rapport à la communauté : je veux certes devenir autonome en légumes, à terme, mais je veux aussi apprendre de mes erreurs, suivre mes intuitions, me prouver à moi-même que les chemins suivis par d’autres ne sont pas nécessairement applicables à la terre qui m’est allouée, ni à mon humeur et mon caractère ; et je veux pouvoir partager mes graines et mes plants, comme on les partage avec moi.
Aussi je vais documenter un peu ce que j’y fais dans ce jardin, en espérant trouver écho de vos expériences, de vos critiques, de vos soutiens et encouragements, de vos surprises et de vos doutes… Car plus que le résultat de cette expérience ce qui compte, à mes yeux, c’est que nous puissions partager nos expériences humaines et horticoles, pour évoluer collectivement vers une société plus à même de soutenir nos communautés dans ces temps sombres qui s’annoncent.
À bientôt pour un inventaire de la surface cultivée, des graines semées, des jeunes pousses plantées, et des interrogations qui ne manqueront pas d’apparaître alors que la nuit tombe sur des journées confinées bien remplies.